Généralités - Caractéristiques
Datation
Le corpus présenté ici concerne principalement les XIXe et XXe siècles. À la marge, on trouve quelques productions (principalement religieuses) au XVIIIe. L’âge d’or de la production sur feuilles volantes est incontestablement le XIXe et le début du XXe.
Au XIXe, la presse locale est encore balbutiante et se limite souvent à une fonction d’annonces. Elle est aussi encore trop onéreuse pour les bourses populaires. La feuille volante fait aussi fonction de gazette et on ne l’achète que lorsque le sujet intéresse. Ce caractère évènementiel se retrouve clairement d’ailleurs dans les thèmes traités : fait divers, prosélytisme politique ou religieux, évènements internationaux (guerres, catastrophes…).
La fin du XIXe avec l’influence du mouvement bardique, verra se développer des productions visant à la promotion ou la défense de la Bretagne, sa culture…
La presse quotidienne ou hebdomadaire prend peu à peu, au cours de la première moitié du XXe, une partie de la fonction tenue par les feuilles volantes et ces dernières, dans leur forme traditionnelle, vendue par colportage, disparaîtront à la fin de la deuxième guerre mondiale.
La deuxième moitié du XXe, avec le développement de la vie associative bretonne, verra apparaître des feuilles « militantes » de la cause bretonne.
La datation précise des feuilles n’est que rarement donnée avec la signature d’imprimeur. Pour les chants relatant un évènement, on la trouvera le plus souvent dans le titre ou dans le corps du texte. En effet, à l’instar d’une tendance très forte constatable aussi dans la chanson de tradition orale, les Bretons aiment bien être précis sur les noms des protagonistes, les lieux, la date... tout élément qui constitue comme un gage de véracité pour l’histoire qui va être entendue. À défaut, le contexte permet souvent d’avoir un ordre d’idée de la datation.
Par ailleurs, les feuilles volantes faisaient l’objet d’une surveillance étroite de la part des services de la préfecture qui imposaient une demande d’autorisation d’imprimer et un dépôt légal, ce qui permet parfois de recueillir aujourd’hui des précisions de date d’édition (sans toutefois exclure la possibilité d’éditions antérieures dans certains cas).
Les noms et adresses des imprimeurs constituent également des indices et permettent, en fonction de ce que l’on connaît de leur vie professionnelle, de disposer au moins d’une fourchette en matière de datation.
Il faut noter aussi, d’une manière générale, la très grande proximité entre l’évènement et l’édition de la feuille qui en parle. Bien souvent cette proximité est si évidente pour tous que l’auteur n’éprouve même pas le besoin de préciser l’année (comme c’est, par exemple, le cas pour les affiches ou les articles de presse qui indiquent le jour et le mois mais pas l’année).
C’est ainsi aussi que, dans le cas de relations de faits de guerre, on peut suivre d’une feuille à l’autre l’évolution du déroulement du conflit. Là encore, la fonction « gazette » s’impose.
Auteurs et caractéristiques littéraires
Le corpus des auteurs est aussi hétéroclite que celui de leur production. En effet, c’est un éventail très large des différentes couches de la société bretonne qui éprouve le besoin de rimer chants et poèmes.
Paysans, artisans, lettrés, prêtres, politiciens, militants culturels… Toutes les classes sociales s’y trouvent, y compris les emblématiques aveugles pour lesquels ce métier de compositeur et de colporteur de chansons s’avère être leur seul moyen de subsistance possible.
Par voie de conséquence, le niveau littéraire et le niveau de langue des œuvres vont être éminemment variables.
Les chansons sur feuilles volantes ont souvent fait l’objet d’un profond mépris de la part des lettrés qui avaient tendance à considérer ces pièces comme une sous-littérature produite par des analphabètes.
De fait, certains chants sont visiblement l’œuvre de compositeurs n’ayant pas fréquenté l’école, ne sachant pas toujours séparer correctement les mots et ayant une orthographe phonétique et plus qu’incertaine… Ce qui ne veut pas dire pour autant que la syntaxe soit défaillante ni que le vocabulaire ne puisse réserver de bonnes surprises. Et surtout, analphabète ne veut pas dire inculte !
Dans d’autres pièces, des étudiants à l’érudition mal digérée croient éblouir l’auditeur en faisant appel à tous les dieux de l’Olympe pour stimuler leur inspiration et en utilisant des mots français à foison là où les choses pourraient être dites de manière beaucoup plus simple et mieux appropriée en breton.
Pour autant, si imparfaite puissent-elles être, ces œuvres ont le mérite d’être l’expression spontanée de gens éprouvant le besoin de transmettre leurs émotions, indignations ou colère sans avoir nécessairement recours à des écrivains patentés chargés de diffuser le prêt-à-penser politiquement correct qui est trop souvent le lot de nos modernes médias. Elles avaient le mérite de toucher la population qui s’y sentait à l’aise, de porter témoignage en matière d’histoire culturelle et, parfois, quoiqu’en pensent les « lettrés », d’apporter des éléments de vocabulaire inconnus des dictionnaires. Si tous ces textes n’étaient pas obligatoirement des œuvres d’art, certains poèmes simples et naturels peuvent contenir plus d’émotion que bien des textes aussi érudits qu’ampoulés et qui sont restés dans les poubelles de l’oubli.
Mais, à côté de ces œuvres populaires, on trouve aussi de nombreuses compositions de lettrés qui ne croyaient pas déroger en utilisant un média bon marché pour diffuser leur poésie : clercs (séminaristes), prêtres, poètes cultivés… Et leurs œuvres sont alors d’un niveau littéraire comparable aux autres productions de l’époque, quelle qu’en soit la langue.
Attestation des noms d’auteur
De nombreux cas de figure existent quant à la signature des auteurs.
- Dans le meilleur des cas, l’auteur est identifié soit par une signature, soit par une mention dans le texte. Toutefois, d’une manière générale, il s’avère nécessaire de générer un « nom normalisé d’auteur » car la signature peut correspondre au nom officiel ou à des noms de plume divers, sous des graphies variables, parfois en français et d’autres fois en breton… (En rubrique « Recherche / Chant / Auteur, il est possible de consulter la liste des noms d’auteurs).
- Parfois, et particulièrement dans le cas d’ecclésiastiques, la signature se limite aux initiales, ce qui impose des recherches (fructueuses ou pas). La comparaison avec d’autres éditions peut aussi apporter la réponse.
- Dans d’autres cas, une mention dans le texte, sibylline ou évocatrice, permet de dévoiler l’auteur bien que ne le nommant pas clairement.
- Et quand le texte ne contient ni signature ni indication, il faut se contenter de cet anonymat (sauf en cas de mention trouvée dans d’autres sources). Ainsi, les prêtres restent volontiers anonymes mais les premiers possesseurs des feuilles ont parfois fait une mention manuscrite relative à l’auteur, sa fonction, sa paroisse, le lieu ou la date d’achat, etc.
Typologie des auteurs de chants sur feuilles volantes (en chiffres)
En l’état actuel de la base de données (5618 chants différents), seule la moitié des chants sont revendiqués par un auteur, soit 753 auteurs repérés pour 2927 chants.
Les statistiques suivantes sont basées sur les 100 auteurs les plus productifs qui réunissent à eux seuls 1874 chants sur les 2927 chants signés, soit 65% (
voir le détail).
Pour essayer d’apprécier cette typologie des auteurs, sans trop complexifier, nous avons retenu 4 grandes catégories pour lesquelles on obtient les pourcentages suivants :
- 30% d’ecclésiastiques
- 50% de lettrés (avec les divers niveaux que cela peut recouvrir, littérateurs reconnus ou personnes ayant fait des études ou ayant des professions nécessitant un niveau d’études correct)
- 14% de professions diverses (artisans, agriculteurs, ouvriers…) avec toute l’incertitude de cette catégorie. En effet certains peuvent avoir un niveau d’études honnête et d’autre un niveau rudimentaire
- 6% de mendiants, illettrés, aveugles…
Voilà qui relativise singulièrement les qualificatifs méprisants dont les auteurs de feuilles volantes sont si souvent affublés, ou les clichés faisant passer les feuilles volantes pour la spécialité d’analphabètes.
Au-delà, il est toujours possible de discuter des qualités littéraires mais cela est également vrai pour les "littérateurs" patentés. Et qu’un illettré ou que des personnes sans formation littéraire éprouvent le besoin de composer des poèmes semble déjà, en soi, mériter beaucoup plus de considération que de critique.
Les thématiques
Tout comme en chanson traditionnelle, on ne trouve pour ainsi dire pas de poésie pour la poésie. Le poème est d’abord narration... rimée, bien sûr ! Mais il s’agit d’abord de raconter.
Par contre, les thèmes eux-mêmes ne connaissent aucune limite (En rubrique «
Recherche > par Chants > par Thème », il est possible de consulter la liste détaillée des thèmes qui donnent mieux qu’une longue tirade une idée de la diversité des sujets abordés).
Toutefois, il est possible de distinguer quelques grandes catégories :
- Chansons à la gloire de …, ou chansons à caractère historique.
- Chansons sur des évènements, catastrophes… correspondant à la dimension « faits divers » des productions en feuilles volantes.
- Chansons sur les sentiments, l’amour…
- Chansons sur des thèmes religieux, cantiques, feuilles de piété : il s’agit là d’un corpus très volumineux dont le tour est loin d’avoir été fait.
- Chansons politiques ou prosélytes : feuilles de propagande électorale ou idéologique, à caractère souvent éphémère, chansons satiriques, chansons sur les problèmes religieux.
- Chansons sur la Bretagne
- Chansons satiriques sur les vices, les personnes, les métiers…
En fait, il s’avère que le classement thématique établi pour la chanson de tradition orale (Patrick Malrieu,
La chanson populaire de tradition orale en langue bretonne, Thèse de doctorat Rennes II, 1998) peut s’appliquer en grande partie à la chanson sur feuilles volantes, avec ajout de quelques rubriques.
Les titres des chants
Les titres des feuilles volantes sont parfois très longs et détaillés et constituent à eux seuls une sorte de résumé annonçant ce qu’on va trouver dans le chant. C’est l’équivalent du « chapeau » des articles de la presse quotidienne.
D’une édition à l’autre, ils peuvent présenter des variations parfois minimes et liées à une orthographe fluctuante, mais dans d’autres cas, on peut également trouver un titre totalement différent pour une chanson identique.
Il a donc été nécessaire de prendre en compte toutes les variations :
- Pour permettre à qui interroge sur une suite de caractères du titre de retrouver le titre entier correspondant.
- Pour identifier les éditions multiples. Parfois une édition ne diffère d’une autre que par un détail du titre, et connaître le nombre des éditions renseigne sur la pratique du chant lui-même.
- Pour tenir compte des changements constatables dans le corps du texte (remaniements, corrections, typographie… parfois plagias avec un même texte sous des noms d’auteurs différents !)
En conséquence, il a été également nécessaire d’attribuer aux multiples variantes relevées pour une même chanson un « titre critique » normalisé équivalant à un titre générique.
Les imprimeurs-éditeurs
La feuille volante en langue bretonne doit beaucoup à quelques imprimeurs particulièrement intéressés par la diffusion de chants ou de textes dans cette langue (Lédan à Morlaix, Le Goffic à Lannion, de Kerangal à Quimper…)
Il est remarquable de constater que l’essentiel de la production est assuré par le Trégor, le Léon, Quimper.
On peut noter la faiblesse de la production profane dans le Vannetais qui se limite presque exclusivement à la production de feuilles religieuses (chez Galles ou Lafolye à Vannes).